samedi 5 mars 2016

Ces artistes qui nous sauvent.

Ces artistes qui nous sauvent....





Hier encore, en faisant des crêpes, j'avais mis la musique à fond, un "best of" de Sinead O'Connor, et je chantais à tue-tête le refrain de la chanson Mandika : "I don't know no shame ! I feel no pain ! I can't see the flame !". Je vibrais jusqu'à la moelle avec les percussions envoûtantes, le chant lancinant de "I Am Stretched On Your Grave" et sa conclusion que le fiddle celtique répète avec insistance et énergie. Je me pâmais dans la richesse d'une créativité débridée et émotionnelle avec "The Thief of You Heart", dont la fin, aux airs très celtiques également, qui marie le fiddle à la guitare électrique, suscite en moi, à chaque fois, toutes sortes de visions créatives et narratives. Je me fondais dans les nuances magiques, sourdes, entremêlant douceur et douleur, de "Three babies", et je sombrais, en pleurant de chaudes larmes qui évitaient de justesse la pâte à crêpe, dans la profondeur du drame de l'histoire de Jackie, une chanson qui est comme un cri, un déchirement où vient se mêler la tendresse et la tristesse.
Bref, tout un univers, un pan de vie imaginatif et hyperanimé se met en branle quand j'écoute Sinead O'Connor.

Mais ce n'est pas tout ! Il ne s'agit pas seulement de l'aspect créatif et de son impact émotionnel. Quelque chose se passe en profondeur, quelque chose qui atteint des dimensions de moi-même que rien d'autre n'arrive à toucher ainsi. 

J'ai voulu comprendre pourquoi et comment les artistes ont la capacité de créer pour eux-mêmes des œuvres qui nous rejoignent si intimement.

Pour moi, écouter Sinead O'Connor, ou Peter Gabriel, ou James Horner et Hans Zimmer, m'offre un moyen d'expression, un outil qui compense ce que j'ai dû refouler, nier et ce que, chez moi, je n'ai jamais pu comprendre...
Certains films, poèmes, chansons, ont tellement marqué mon enfance et mon adolescence, non pas comme des éléments extérieurs qui s'impriment mais comme si des éléments préexistants de ma personnalité étaient réveillés, voire révélés. Et cela m'arrive encore !

En me penchant sur le cas de Sinead O'Connor en particulier, sur l'effet intense que ses chansons ont sur moi depuis la fin de mon adolescence, et en visitant son histoire personnelle, je remarque les points communs avec ma propre histoire et je commence à comprendre.

Sinead fut élevée dans un pensionnat de jeunes filles tenus par des religieuses. Ce n'est pas systématique de ce genre de pensionnat (heureusement !), mais elle y a vécu les abus physiques et psychologiques qu'on y rencontrait fréquemment.
Cela a donné une rebelle, une écorchée vive.

D'autres jeunes filles ont vécu des situations identiques sans en sortir aussi visiblement et carrément meurtrie, et sans le hurler à tout va ! Mais Sinead était différente.

L'irlandaise déjantée des années 80 s'est élevée seule et sans filet contre l'impérialisme britannique (et je me souviens que Mme Thatcher n'avait pas du tout apprécié !), contre l'emprise religieuse, contre l'industrie du disque, contre le sectarisme et le ségrégationnisme, et contre pratiquement tous les types d'autorité. 
Comme moi, elle ressortait écorchée de chacune de ses relations humaines et infligeait quelques dommages au passage.

Récemment, elle a officiellement confirmé le diagnostic de trouble bipolaire, comme si sa capacité à faire des chansons résonnant à la fois de colère et de détresse, de tendresse et de violence, n'exprimait pas assez les extrêmes qu'elle était capable de rejoindre.
Voilà qui m'a particulièrement intéressé !

Trouble bipolaire... A l'instar de Robin Williams, Jim Carey, Richard Dreyfus, pour ne citer que quelques acteurs sur les milliers qui ont animé nos vies et qui souffraient de ce "trouble du comportement". Chanteurs, peintres, philosophes, écrivains, génies... Ils pullulent, ces personnages engagés, ces "vrais" artistes, c'est à dire ceux qui donnent tout ce qu'ils ont, et surtout qui ils sont, de manière authentique sans trop se laisser teinter par le business, qualifiés de bipolaires ou souffrant d'autres pathologies comportementales. Ils sont d'ailleurs les seuls, semblerait-ils, qui soient capables d'apposer une réelle empreinte, de causer un impact suffisant pour bouleverser un tant soit peu notre monde apathique, éteint, normalisé, et lui éviter la sclérose !

Je pense que dans une autre société, un monde où les intelligences divergentes auraient le droit de s'exprimer, d'exister, un monde où répressions éducatives, brimades, boulonnage dans toutes sortes de carcans depuis la petite enfance, ne sont pas d'usage, ceux que nous appelons bipolaires, HP, surdoués, atypiques, etc. ne seraient pas affublés d'un "trouble du comportement" mais seraient considérés comme de sacrés atouts !
Bien que, si l'on veut être tout à fait honnête, il faut avouer que devoir se battre contre des exigences extérieures étroites et des systèmes rigides pour exister produit souvent de véritables perles, de la même manière que les huîtres affligées des grains de sables les plus irritants produisent, en réaction, le plus merveilleux des nacres.

Ainsi, ces artistes, ces personnages qui sont arrivés à se révéler contre vents et marées, qui ont souvent été consumés, à cause d'un ressenti démultiplié, par des souffrances demeurant silencieuses chez d'autres, et qui renaissent encore et encore de leurs propres cendres, ont l'art - justement - d'aller nous piquer sous nos armures et derrière nos masques, tout simplement parce qu'ils ont rejeté les leurs.
Ils sont à vif !

Lorsqu'à l'âge de 18 ans, je tremblais littéralement en écoutant Sinead O'Connor, que je dansais jusqu'à me rompre les articulations toute seule dans ma chambre et hurlais en silence des paroles que mon cerveau comprenait à peine mais que mes tripes embrassaient pleinement, c'est parce que le talent  de cette femme me permettait de rencontrer ma propre colère, de panser mes propres déchirures, ou de me plonger dans la douceur et la vulnérabilité que savait emprunter sa voix excise.
En exprimant ce que je n'osais même pas formuler en pensée, encore moins le communiquer à qui que ce soit, elle me sauvait.

Et je tenais bon encore un peu.

En a-t-elle seulement conscience ?
Je devrais peut-être lui écrire....


FLB



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Laissez un commentaire ici