mercredi 3 juin 2020

Un monde idéal



Mon monde idéal n’est pas un monde parfait. La perfection n'existe pas, et l'absolutisme est une imposture.
Idéal dans le sens : qui donne une satisfaction juste aux aspirations du coeur, du corps et de l'esprit.

Mon monde idéal n’est pas une simple idée, même s’il en reste au stade immatériel de la pensée, de l’imaginaire ou du souhait. Il représente un besoin viscéral de retour à la terre, à la réalité et à l’harmonie du vivant. 

C’est simplement un monde qui n’abîme pas, c'est-à-dire que chacun peut y vivre à la fois en toute intégrité avec lui-même et en toute cohérence avec son milieu de vie.


Un monde qui n’abîme pas n’est pas un monde sans violence, car la violence est inhérente à la vie (j'en parle dans cet autre article ICI). Mais c’est un monde sans méchanceté, sans cruauté, sans perversité ni vilenie, avec une éthique fondée sur la considération respectueuse, la bienveillance, mais sans morale, et donc sans perversion. 

Ceci est une ébauche, je dois encore bûcher sur certains aspects, et tous les détails ne peuvent être abordés par ce jeu de reconstitution d'un monde idéal dans un blog, mais en bref, ce monde serait basé sur les principes suivants : 

  • Toute autorité est illégitime (autre que sur sa propre personne). 
  • La seule gouvernance légitime est celle de la dynamique planétaire. Il n’y a pas de pays, uniquement des océans et des continents et leurs zones écologiques (forêts, montagnes, marais, côtes, déserts, steppe, savanes, bush, etc.). 
  • Les seules lois légitimes sont celles qui régissent l’organisation spontanée de la vie sur Terre, de manière non hiérarchique, concentrique, depuis le cosmos dans lequel la planète s’inscrit jusqu’au petit étang du coin. À partir de ces lois sont déclinés ces présents principes...






  • Pas de religion ni de science, mais une cosmogonie contenant l’ensemble des savoirs qu’impliquent ces lois, à la fois dans leur dimension physique (temporelle) et symbolique (spirituelle). Sa transmission et son enseignement prennent aussi bien la forme de formules mathématiques (version matérialiste) que de mythes (version intuitive), tant qu’elle exprime la réalité (que j'adresse dans cet autre article ICI). La réalité - les lois et dynamiques et principes de la vie sur terre - ne doit pas être sujet à interprétation. Il n'y a pas de porte-parole attitré pour en révéler une quelconque exégèse ou idéologie ! C'est dans cette forme de travers qu'est tombé le nazisme, par exemple : à partir d'une vision darwiniste de la nature, on peut justifier les classes sociales, le racisme, voire l'eugénisme ! La vie (ce que nous appelons la nature) parle pour elle même dans un language non linguistiquement structuré (d'où la nécessité de combiner Mathématiques et intuition, pragmatisme et symbolisme), un language perceptible par les sens et l'intuition, par la conscience. C'est quand il est traduit en mots par le cerveau et la raison qu'il convient d'être prudent et de rester aligné sur cette conscience, justement. L'Histoire, la linguistique et l'étymologie nous rappellent à quel point le language peut être manipulé. Nul besoin de prophète ou d'interprète éclairé ! La transmission des connaissances à la génération suivante n'est pas affaire d'inculcation et d'études, mais d'observation et d'analyse, d'initiation par l'expérience visant la compréhension, ainsi que de la sensibilité et l'intuition. La compréhension surgit de l'intérieur. Certains seront plus enclins à les comprendre intuitivement, d'autres, mathématiquement. Les connaissances sont accessibles à tous sans restrictions, sans agenda, sans hermétisme. Comme elles sont simples et concernent directement l'existence, elle sont naturellement porteuses de sens.
  • Les habitations humaines n’auront pas plus d’impact sur l’environnement qu’un nid d’oiseau, et les infrastructures, pas plus qu’une fourmilière, toutes proportions gardées.
  • La consommation des ressources naturelles et des autres êtres vivants s'opère avec considération respectueuse et ne doit strictement pas dépasser les besoins essentiels, c'est-à-dire qui permettent aux individus et à la communauté une vie saine et aussi confortable que possible sans nuire à l’assouvissement des besoins des autres êtres vivants, ni enfreindre les lois naturelles. Le libre accès aux ressources naturelles (eau, bois, métaux, énergie solaire, terre et agriculture, flore et faune sauvage) n’implique ni commerce, ni préséance, ni supériorité de la part des humains.
  • La société humaine est structurée sur le modèle écologique. Elle est à la fois communautaire et individualiste. Si on prend l’exemple de la forêt et que je me compare à un arbre dans cette forêt, je suis respecté dans mon unicité quelle que soit mon essence, la forme qu’ont pris mon tronc et mes branches, ma taille… Je participe pleinement à la vie de la forêt simplement en existant en cohérence avec ma nature. En accord avec le principe que la Partie est dans le Tout et le Tout est dans la Partie, l’arbre est discernable mais pas indépendant de l’entité.

La sève est dans l'arbre et l'arbre est dans la sève....

  • Tout type de hiérarchie étant nocif, la structure organisationnelle des communautés prend la forme de réseaux à l’image des racines et des branches. Il faut oublier les concepts et schématisation en hiérarchie verticale ou pyramidale et revenir à l'horizontalité et aux cycles ou aux spirales (Pas comme s'y est mise la culture corporative où les fonctionnements collaboratifs en réseau sont pervertis par le salariat, le marché et le profit).
  • La fonction individuelle au sein de la communauté, l'apparence de chacun, le comportement des individus, seront en accord avec les inclinations et facultés, aptitudes, de chacun, tout comme chaque arbre existe dans la plénitude de son essence selon le terrain sur lequel il croît. 
  • L'enfance est sacrée, asexuée et libre ! Les petits enfants apprennent la vie en communauté par l'exemple, le mimétisme, le jeu, l'exploration et l'expérience. Ils peuvent participer aux activités quand se présente leur désir spontané de le faire, selon leur âge et leurs capacités : le développement de chaque enfant est unique, personnalisé, calqué sur le développement de sa dentition. Les étapes de ce développement sont célébrées, mais il n'y a pas d'agenda prédéfini imposant à tous d'être capables faire telle ou telle chose à tel âge. L'éducation ne nécessite pas de cris, de menaces, d'humiliation, de discipline, d'agression physique, de punitions. Et aussi, la communauté entière est responsable des enfants. "Il faut tout un village pour élever des enfants :  mettre les générations d'enfants ensemble pour qu'elles se pollinisent. Être sur un même pied d'égalité avec les adultes. Créer une proximité avec la nature, la forêt, afin de se rendre compte qu'on appartient à la planète." - Thomas d'Ansembourg
"Si l'enfant n'est pas enlacé par sa tribu, quand il sera grand il brûlera le village pour sentir sa chaleur" - proverbe africain
  • Il n'y a pas d'école ! L'école est déjà une aberration en soi, un processus de domestication appliqué à l'être humain, qui désensibilise. D'ailleurs, la simplification de la vie et de la société, l'absence de marché (y compris celui de l'emploi) et d'industries rendent l'école obsolète ! Dans le monde idéal, les apprentissages et l'invitation à réaliser des tâches précises quotidiennes n'apparaissent pas avant 6 ou 8 ans. L'apprentissage d'un savoir-faire en particulier, quand l'enfant démontre un intérêt certain, peut être promulgué par tous ceux qui pratiquent le savoir-faire à transmettre. La connaissance du monde et de la vie est dispensée de manière décontractée, au fur et à mesure des questions et des besoins. D'ailleurs, aucune réponse ne devrait être imposée systématiquement avant les questions, les événements associés ou le déploiement naturel de la curiosité, et cela diffère pour chaque enfant ! L'intérêt spontané donne un sens à l'acquisition de savoirs et de savoir-faire. 

« La castration de la spontanéité est l’une des caractéristiques des civilisations occidentales [et orientales]. On apprend à ne pas faire montre de ses sentiments, à bloquer les pulsions de sympathie et d’antipathie, à contrôler exagérément sourires et gestes, dans le mauvais sens du terme, au nom d’un qu’en dira-t-on possible, d’une absurde respectabilité de maintien et autres fariboles qui vont à l’encontre de véritables relations qu’on peut avoir avec soi-même et avec les autres. On aboutit ainsi ou bien à la raideur intérieure ou extérieure et à tous les refoulements d’émotions que cela suppose ; ou bien à la révolte contre les systèmes fermés qui sont les résultats de la non-spontanéité, avec les attitudes laxistes, débraillées, grossières qui en découlent ».

Le but est d’éviter les deux extrêmes. Contrairement à ce que vous promet la Watchtower, vous n’êtes pas condamnés à la perdition et à la dégénérescence. L’homme naturel, en paix avec lui-même, trouve le chemin de l’équilibre. Équilibre entre la spiritualité et la rationalité, entre la dynamique créatrice extérieure (expression des potentialités) et la sensibilité intérieure, entre son intuition (« anima ») et sa capacité d’analyse (« animus ») et surtout ce trésor si souvent agressé : l’auto-détermination et la pensée personnelle ! » Pierre Daco

  • Le seul fait d’exister est un statut légal en soi. Les individus n’ont pas à mériter ni justifier leur existence ni leur appartenance au sein de la communauté.
  • Ni l’individu ni la société ne combattra la vie et la mort. Chacun respectera, accueillera et célébrera la vie comme la mort de manière égale. 

NOTES

Il n’y a évidemment pas d’économie. Uniquement l’écologie. Et pas de fric. L’autonomie des communautés, des familles, des individus, se passe très bien de commerce. 

L'artisanat et l'art ne sont pas dissociés. 

Pas de compétition ni de hiérarchie. La notion de réussite a disparu. Reste celle de la réalisation de soi demeure, car la plénitude de la partie dans le TOUT, c'est la plénitude du TOUT (dans la partie). 

Les territoires des communautés sont fluides. Le nomadisme n’est pas exclu, cela dépend du climat selon les régions et des personnalités. Les communautés ne sont pas fermées ni identitaires. 

En ce qui concerne les genres et la sexualité, je vous renvoie à cet autre article très exhaustif ICI.

Il faut repenser la communication et créer un cadre adéquat pour que les souffrances, disputes et conflits puissent s’exprimer et être accueillis avec bienveillance avant de devenir problématiques ou agressifs, et revisiter la notion de justice (qui repose sur l’ensemble de la communauté et pas sur une fonction réservée à certains). Celle-ci, loin de toute culpabilité, doit prendre en compte les contextes, facteurs, causes directes et collatérales, intentions et conséquences des comportements qui ont causé du tort. Concernant les peines, au besoin, on peut s’inspirer de la synergie au sein des troupeaux ou des meutes, et celle des tribus indigènes, où l’isolement temporaire est souvent la peine la plus courante. La réclusion et l’exclusion, pratiquées dans notre société actuelle, sont synonymes de mise à mort, dans la nature. 
Il s’agit également d’être éducatif (favorisant la prise de conscience, la compréhension et la sensibilisation, et visant la réparation, même symbolique) plutôt que répressif (favorisant la soumission, l’abrutissement et l’insensibilisation, et visant la punition). 

La relation entre les communautés est fluctuante et dynamique, à l'image de la relation entre individus. Pour éviter le retour du pouvoir et pire, sa centralisation, il faut faire le deuil de la garantie d'une paix, d'une béatitude et d'une harmonie omniprésente. L'équilibre est un mouvement perpétuel entre les extrêmes. Là encore, l'observation des facteurs écologiques biotiques nous enseignent sur les moyens, les relations et comportements qui préservent ou ramènent l'harmonie. 

Il faut aussi réfléchir à la domestication et à l’élevage. La collaboration inter-espèces, quand elle a lieu, doit être réciproquement édifiante, l’intégrité de chaque individu, peu importe l’espèce, étant sacrée. Il ne peut y avoir de clôtures ni d’entraves (apprivoiser au lieu de domestiquer ? Amitiés inter-espèces ?). La notion de propriété est également à exclure : on ne peut posséder le vivant ! De toute façon, la possession est une illusion. 
Nous serons libérés de l'attachement et de l'appartenance.

Il faut également repenser l'agriculture dans ce sens. Peut-être même éviter de labourer la terre autant que possible ! Je suis persuadée que le labour fait partie de la "culture du viol"....


Il faut aussi revisiter la question de la consommation d’énergie et la nécessité des technologies (beaucoup tomberont d'elles-mêmes dans l'obsolescence en l'absence de marché et de consommation). Et donc bien définir l’équilibre entre les besoins réels et le confort sans nuire aux autres espèces (faune et flore). L’harmonie écologique est la clé ! 

On pourrait croire que ce monde idéal n'est jamais sorti du Néolithique, du Bush ou de la forêt amazonienne ! Mais ce serait faire fi des expériences portées par les derniers millénaires dont nous ne sortirons pas intacts ni plus forts, mais amoindris, estropiés et souffreteux. C'est durant notre convalescence et notre réhabilitations que se réveilleront notre conscience et notre santé, mais nous ne serons plus jamais ce que nous avons été : c'est le principe de la progression en spirale, ou le thème abordé par Sénèque lorsqu'il dit qu'un homme ne met pas deux fois les pieds dans la même rivière parce qu'il n'est plus le même homme et que l'eau s'étant écoulée, ce n'est plus la même rivière.
Et puis, notre reconnexion après un si long moment passé loin de nous-mêmes, notre libération après tant d'année d'asservissement, notre réveil après tant de mensonges et d'impostures, sera une évolution, pas un retour en arrière.

Ce monde idéal est-il réalisable ? Oui, sans doute, je reste positive, je choisis d'y croire, même si je devine qu'il ne pourrait naître que ces cendres de celui-ci, il ne pourrait se construire que si le nôtre s'effondre entièrement, et après un bon moment de chaos qui affectera de nombreuses générations, car retrouver les enseignements, les sens et le savoir-faire perdus ne sera pas une mince affaire !
Par ailleurs, outre une désensibilisation majoritaire, les mentalités actuelles ne s'y prêtent pas : les divertissements compétitifs font de nous des juges et des critiques ; la consommation, l'insensibilisation, l'assèchement de l'affection et des émotions ainsi que la hiérarchisation favorable au surdéveloppement et aux blessures de l'ego ont créé énormément de personnalités narcissiques, voire cruelles ; les réseaux sociaux faussent le dialogues et nous habituent aux débats stériles, à l'opposition d'opinions ; notre surnombre rend difficile la possibilité de consensus ; les mégapoles et l'urbanisation posent problème quant à l'autonomie, etc.

Peut-être les conséquences du cycle climatique que nous avons précipité nous y aideront-elles....


FLB


Quelques lectures qui m'ont inspirée :

J. C.Scott (2018), Homo Domesticus, La Découverte
Pierre Clastre (1980), Archéologie de la violence, Seuil 
Pierre Clastre (1974), La société contre l'État, éditions de Minuit
Pierre Clastre (2001), Chronique des Indiens Guayaki, Pocket
Marshall Salhins (2017), Âge de pierre, âge d'abondance, Gallimard

Groupe Krisis (1999), Manifeste contre le travail, éditions Léo Scheer
Andréas Malm (2017), L'anthropocène contre l'histoire, La Fabrique
Serge Latouche (2005), L'invention de l'économie, Albin Michel
Tom Thomas (2011), Démanteler le Capital ou être broyé, éditons Page Deux

Edmund D. Cohen (1986), The mind of the Bible believer, Prometheus books
Jean Solers (2002), L'invention du monothéisme, éditions de Fallois

Eduardo Kohn (2017), Comment pensent les forêts : vers une anthropologie au-delà de l'humain, éditions Zones Sensibles
Jérôme Bachet (2005), La rébellion zapatiste : insurrection indienne et résistance planétaire, Flammarion
Philippe Descola (2005), Par-delà nature et culture, Gallimard
Robin Wall Kimmerer (2013), Braiding sweet grass ; Indigenous wisdom, scientific knowledge and the teaching of plants, Milkweed edition

Albert Jacquard (1997), Petite philosophie à l'usage des non-philosophes, Calmant-Levy

Alice Miller (2015 (publication originale 1981)), C'est pour ton bien ; Aux racines de la violence éducative, Flammarion
Madeleine Deny & Anne-Cécile Pagache, Le grand guide des pédagogies alternatives, Eyrolles

Pandit Ganga Prasad Upadhyaya (2013), The vedic view of Life, Arya Samaj (India)
Abinash Sandra Bose (1960), The Call of the Veda, Bhavan's Book University (Bombay, India)
Lao TzeuTao Te King









2 commentaires:

  1. Tu me fais rêver, une vie sereine et saine en accord avec les lois fondamentales de la nature et donc en interaction directe avec elle et nous-mêmes, moi aussi j'y crois.

    J'espère aussi que plus le monde sera insensé, plus ça réveillera les consciences.

    J'ai beaucoup aimé te lire ��

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  2. Oui surtout que je te rejoins également ! Nous sommes frère et soeur d' âme d' un temps qui n' est pas encore arrivé. La nostagie du future ou d' un paradis oublié. -- Nakahijo

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