dimanche 21 février 2016

Oui, patron !

Attention, aujourd'hui, ma plume pique !


« Oui, patron ! »


Je suis tombée cette semaine sur un article du Soir titré ainsi : 25.000 personnes exclues du chômage: «Ce n’est qu’un début», craint Nollet !

Le sujet de l’article ne m’a pas tant interloquée à cause de la difficulté que montre notre gouvernement, notre société en général, à évoluer au-delà de cette méthode archaïque, contre-productive, bon marché et impliquant peu d’efforts qu’est la punition[1], ni par cette  subtile installation, parmi les citoyens, de la crainte de la fraude chez les petites gens, ce qui maintient entre eux un regard soupçonneux et leur évite de lever les yeux sur les vrais parasites, ni encore cette démarche de « diabolisation » des précarisés, des malades, et des autres « non-productifs » qui divise pour mieux régner. Non, ce qui m’a littéralement fait froid dans le dos, c’est de vivre dans un monde où des humains en jettent d’autres dans la précarité, l’insécurité, l’impuissance, la détresse, le jugement arbitraire, la privation d’éducation et de culture, prenant le risque d’y condamner au moins la génération suivante, rien que parce que c’est leur boulot.

Derrière les décrets gouvernementaux, il y a ceux qui les appliquent.

Je m’étais permis de penser – mais il est vrai que je suis une incorrigible utopiste – qu’étant sortie de l’ère du service militaire, notre société allait peu à peu évoluer vers plus de conscience en perdant l’habitude d’obéir bêtement à des ordres et de se sécuriser à l’aide d’une hiérarchie graduée et ses uniformes correspondants. Je me mettais à croire aussi qu’avec le déclin de la domination ecclésiastique, notre partie du monde allait peut-être se détacher de ce Dieu patriarcal à l’amour conditionnel, « tuer le père », quoi, ce qui est une étape indispensable vers la maturité, la création et l’affirmation de soi, pour enfin libérer sa conscience et éventuellement commencer à œuvrer selon ses propriétés inhérentes, soit l’empathie et la compassion.
L’humanisme.

Hélas… Il semblerait que l’évolution de l’humanité ne soit pas au programme. L’a-t-elle jamais été ? Je ne parle pas de la technologie, que je ne considère pas comme une évolution mais comme un artifice, souvent bien pratique, j’en conviens, mais un artifice tout de même. Je relègue les sciences au niveau des connaissances, pas de l’évolution.

Non, l’humanité n’a pas évolué. Elle a disparu.
Disparu des gouvernements et de ses administrations, des services publics. Aucun humain bientôt non plus dans les services privés. Très peu dans nos écoles.

Mais pour en revenir au sujet, j’ai tenté de comprendre comment et pourquoi les employés de l’Onem acceptent, avec très peu de formation quant aux relations humaines et à la communication, de jouer le jeu sordide de l’évaluation, usant de critères imposés qui ne prennent en compte ni le bagage émotionnel et psychologique, ni le contexte ou la situation dans son ensemble – comme si tout n’était pas indéniablement et irrémédiablement lié – des personnes ciblées et exécutent leurs ordres, remplissent leur fonction, tout en demeurant capables de se regarder dans le miroir le matin suivant sans devoir aller vomir.

« Ils n’ont pas vraiment le choix ! », m’a-t-on rétorqué. « Ils tiennent à garder leur boulot sous peine de se retrouver dans la situation même de ceux qu’ils évaluent, pressurent et, éventuellement, sanctionnent. »

Voyez-vous la perversité du cycle ou est-ce juste moi qui cauchemarde ?

Lorsque je vivais aux États-Unis, j’y ai rencontré des personnes ayant pour métier celui de spécialiste ou de consultant en licenciement. Ils font le sale boulot à la place des patrons, souvent dans des « grosses boîtes » régulièrement soumises à des phases de restructuration et de délocalisation. Ils suivent des formations pour apprendre à se détacher des émotions de leurs « victimes » et à communiquer de mauvaises nouvelles sans se mettre en défaut, surtout sur le plan légal. Mais bon, il s’agit des USA, n’est-ce pas ? On n’est pas dupe, on se dit que c’est loin et qu’on vaut mieux que ça, qu’on n’ira jamais jusque-là, qu’on ne dégringolera jamais aussi bas.
Et pourtant !

Connaissez-vous l’expérience Milgram ?
Effectuée en laboratoire avec des sujets humains volontaires, de 1960 à 1963, et reprise en 2010 pour les besoins d’un documentaire intitulé « Jusqu’où va la télé » via un jeu télévisé «Zone X-trème», cette expérience met en scène un professeur ou questionneur face à un élève ou cobaye et démontre une soumission à l’autorité si forte dans notre société que huit personnes sur dix acceptent, sans récompense ni menace, d’obéir à des ordres qui infligent de grandes souffrances à autrui pouvant aller jusqu’à la mort. Donc, seulement deux personnes sur dix écoutent leur conscience et s’opposent à un ordre immoral.
Tout système ou ordre établi peut facilement, trop facilement encore de nos jours, l’emporter sur la conscience des individus qu’il gouverne.

Si les humains se mettaient à refuser d’agir de manière à compromettre le bien-être d’un des leurs, le métier de spécialiste en licenciement n’existerait plus : personne ne voudrait de ce poste. Les entreprises seraient alors confrontées à leur propre fonctionnement et, sur le long terme, ce simple  aspect des choses provoquerait-il au sein de la culture corporative un comportement plus humain en général.

Et si la majorité des employés de l’Onem se levaient contre cette fonction d’évaluateur, que se passerait-il, pensez-vous ?
Et si les employés de Nestlé, Apple, Amazon, et Cie, se mettaient à penser que l'accès à l'eau potable, les soucis sanitaires, les conditions de travail, la qualité - et surtout la non toxicité - du produit, etc. étaient des réalités plus importantes que celle d'obtenir et de conserver un job, que se passerait-il ?

Je crois en l’effet papillon. Un seul mouvement peut mener à une prise de conscience collective et faire plier un gouvernement ou des chefs d’entreprise. Le peuple a oublié qu’il avait le pouvoir, s’il a jamais osé véritablement s’en saisir.
Cela me rappelle cette phrase bien pesée d’Alice Walker, auteure de La Couleur Pourpre : «Le plus souvent, les gens abandonnent leur pouvoir parce qu’ils croient qu’ils n’en ont pas».

En attendant, doit-on vraiment accepter de se laisser traiter comme du bétail par du bétail ?
C’est facile de jeter la pierre à nos ministres et puis de dire qu’on ne peut rien y faire.
La démocratie, c’est nous qui l’avons trahie en acceptant que nos droits, notre nature et nos besoins élémentaires soient bafoués encore et encore, en faisant le jeu des politiciens et hommes d’affaire par notre indécrottable soumission, notre égocentrisme et insensibilité.

Après tout ce que nous avons traversé, après les divers systèmes d’oppression et d’obscurantisme, n’avons-nous pas acquis suffisamment d’expérience et gagné le droit d’enfin relever la tête et de penser par nous-mêmes ?
De redevenir humain.

N’y a-t-il vraiment pas d’autres réactions possibles face au problème que pose le chômage longue durée ?
Quel message nous relaient-ils, ceux qui en « profitent » ? Ceux que l’on pourchasse et sanctionne ne recèlent-ils pas les indices des dysfonctionnements du système ? Si l'on tentait de les comprendre ? Si on dialoguait avec eux ? Si on examinait leur situation de manière plus intégrale afin de déterminer ce qui, à la source et non dans les résurgences, les retiennent de travailler ? Leurs réponses nous offriraient sans doute les clés d’une amélioration, d’une évolution.
L’humain n’est pas naturellement paresseux. Il faut cesser de traiter les chômeurs longue durée de paresseux. Il y a des démotivés, des blessés, des amers, des démunis, des laissés-pour-compte, des complexés, des insécurisés, des surdiplômés et des sous-diplômés, des hypersensibles et des intelligences alternatives, un manque de sens à la vie et trop souvent beaucoup de souffrances, mais pas de paresseux.
On en vient à la tyrannie de l’emploi, à la dictature du travail, dans notre société occidentale. J’ai déjà effleuré ce sujet dans un article précédent.

Nous avons aussi oublié que tout est connecté, relié. Tout affecte tout.
L’idée que l’on peut segmenter sa vie, séparer le travail du plaisir ou du privé est une terrible illusion. Celui qui s’endurcit pour continuer à faire un boulot contre sa nature ou contre sa conscience, qui travaille sans plaisir, est opprimé et/ou opprime les autres sur son lieu de travail, agit uniquement par obligation, ramènera chez lui un comportement affecté par cette situation. Il en sera inévitablement transformé et cela influencera grandement ses relations familiales et sociales, sa vision du monde et de lui-même.
Sur le long terme, à grande échelle, cette répression et ses dommages collatéraux engendreront une dégradation de notre société parce que celle-ci n’est autre que le résultat des compromis que chaque citoyen accepte de faire avec sa conscience.

Pour un boulot.
Pour un salaire.
Pour un patron.

Le monde ira mieux le jour où les employés seront capables de se lever et de dire « Non, patron ! »

FB




[1] Notre gouvernement utilise le terme « sanction » mais cela reste à discuter. Pour ma part, je trouve qu’il y a de toute façon amalgame entre la punition et la sanction mais dans ce cas précis, l’action vise à menacer de priver un être humain de ses ressources essentielles, de mettre à mal sa capacité de répondre à ses besoins de base (voir pyramide de Maslow) et ceux de ses proches sans qu’il y ait systématiquement de sa part une véritable notion d’avoir moralement mal agit ou d’avoir enfreint la loi,et cela même quand le demandeur d’emploi a signé un contrat d’accompagnement car celui-ci et les clauses qu’il implique ne sont pas négociables, encore moins optionnels. Il y a donc une impression d’impuissance chez le demandeur d’emploi qui n’est pas (ou ne se sent pas) suffisamment équipé physiquement, psychologiquement, académiquement, voire intellectuellement, pour respecter un contrat qui le pousse à accepter n’importe quoi comme emploi en faisant fi de sa personnalité, de ses aspirations, compétences et particularités, sans aucun respect pour sa personne, mais se voit dans l’obligation de le signer tout en sachant que s’il se retrouve fautif de ne pas en respecter tous les termes, il sera sanctionné, ou plutôt puni d’une manière qui devrait être considérée comme intolérable au sein de toute société qui se respecte. De plus, chaque courrier qu’il reçoit, suite à la signature de ce contrat, contient systématiquement dans le dernier paragraphe la menace que s’il ne se plie pas aux demandes de la lettre en question dans le délai imparti, ses indemnités seront interrompues sans autres avertissement ni recours possibles. Pour que vous puissiez imaginer l’effet d’une telle menace, sachez qu’il est identique à celui de voir jour après jour un énorme bulldozer attendre au coin de la rue, moteur ronronnant, l’ordre venu d’en haut de démolir votre maison, votre lieu de vie, vous laissant sur le trottoir, vous et votre famille, complètement démunis et sans ressources. J’estime que la violence de ce type de courrier est inadmissible. Par ailleurs, les sanctions émises par notre gouvernement à l’encontre des demandeurs d’emploi enfreignent les articles 5 (quant aux traitements dégradants), 22, 23 et 25 de la déclaration universelle des droits de l’homme. 

1 commentaire:

  1. C'est fou comme je voit aussi tout cela comme un grand n'importe quoi.
    J'ai l'espoir que le stress et la pression soient vraiment pris au sérieux dans un premier temps, le monde entier en serait transformé.
    En attendant je n'arrive pas à ne pas être en révolte contre les obligations, les lois, la hiérarchie, les horaires, ce qui m'a déjà apporté pas mal d'ennuis.
    Tout ceci n'a aucun sens pour moi mais je crois que j'ai une piste: Qu'est-ce qui fait que rester tranquille sans rien faire est un problème ?

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