Je me suis alors demandé à quel point il n’en était pas de même avec le comportement humain. Et si, au lieu d’étiqueter des actions en bien ou en mal, on s’intéressait au message de l’action en question ? À sa raison d’être ?
J’ai voulu tenter une expérience avec les cours d’équitation que je donnais à l’époque aux enfants de six à douze ans.
Voici
une situation, en exemple, au départ de laquelle j’ai pu expérimenter la
capacité des enfants à discerner ce qui est positif,
constructif, et ce qui ne l’est pas, sans être enseignés, en faisant simplement émerger la justesse de l'intuition et de l'empathie, en aidant à conscientiser.
Un enfant frappe un poney.
De nombreux enfants manifestent de la peur au contact des poneys et réagissent défensivement au moindre mouvement de ceux-ci. Beaucoup de moniteurs, et j’en faisais partie, disent alors « Ce n’est pas bien de frapper le poney », ou « C’est méchant ce que tu viens de faire ».
Dans
chacune de ces réponses, la véritable motivation de l’enfant à réagir de cette
manière, c’est-à-dire le ressenti de départ, est ignorée alors que l’acte est
jugé, ou pire, la personne est jugée.
On
entend aussi « Pourquoi tu le frappe ? Il ne t’a rien
fait ! », ce qui est la pire des réponses pour deux raisons : 1.
Elle sous-entend que le poney peut faire quelque chose qui donne le droit de le
frapper ; 2. Ce n’était pas le cas cette fois-ci parce que le moniteur l’a décidé
arbitrairement, dédaignant encore le ressenti de l’enfant.
J’ai alors, inspirée par ma formation en équi-coaching et mes récentes découvertes personnelles sur la conscience et l’être, opté pour les questions suivantes :
« Qu’as-tu ressenti dans ton corps quand le poney a bougé ? Dans ton ventre ? Ta poitrine, tes jambes ? »
L’enfant exprime alors souvent qu’il avait
l’estomac serré et la respiration coupée, la mâchoire molle, les jambes
tremblantes. Je lui demande alors « Que crois-tu qu’il veut te dire,
ton ventre, en se contractant ainsi ? ». La réponse est
souvent : « que j’ai peur », et cela s’accompagne fréquemment de
larmes, hélas, car la plupart des enfants ont honte d’avoir peur.
Le poney
est, pour l’enfant, un animal imposant qui a une volonté propre et qui, parce
qu’il est imprévisible, représente une menace. Dans le monde où le contrôle, la
performance et la sécurité priment, la confrontation avec un être libre et
imprévisible comporte un énorme risque, un sentiment de vulnérabilité. En réalité, ce n’est pas tant du poney
qu’ils ont peur. L’insécurité vient souvent du manque de confiance en soi
induit par le monde scolaire et/ou religieux : la pression du résultat, la
mesure à atteindre, les adultes à satisfaire, la connotation de faiblesse,
d’infériorité liée à la peur, l’exagération du besoin de sécurité et d’éviter à
tout prix de se faire mal, la limite de temps imparti pour une tâche, etc.
Demander à l’enfant ce qu’il ressent, le remettre dans son corps, le renvoyer à la source, et accueillir sa réponse sans jugement, lui ouvre une toute autre perspective.
«Avoir peur est une réaction normale, tu sais. À quoi sert la peur ? Bien sûr, à te protéger. Parfois, elle en fait un peu trop, elle se fait des films. Maintenant, c’est à toi de voir s’il y a réellement danger, quel type de danger, et ce que tu vas en faire. » Et on peut laisser l’enfant élaborer là-dessus. Il apprend à reconnaître et à accepter ce qu’il ressent. C’est une forme de respect de soi. C’est de l’intégrité.
Ensuite,
j’ai trouvé très intéressant d’aider les enfants à se reconnecter à leur
empathie naturelle en leur posant des questions comme : « Qu’a
ressenti le poney, à ton avis, quand tu l’as frappé ? ». Je demande
alors à l’enfant de décrire la réaction physique du poney : tête levée,
yeux agrandis, oreilles couchées, fesses serrées, etc. « Que veulent dire
ces mouvements, crois-tu ? » Et alors quelque chose d’extraordinaire
se passe : l’enfant laisse parler son intuition, et l’intuition est l’outil
principal de la communication inter-espèces. Il n’a pas besoin que le moniteur
lui explique le langage équin, ce que veut dire le cheval lorsqu’il couche les
oreilles ou qu’il lève la tête, l’enfant le sait intuitivement. Il exprimera
alors que le poney a eu peur aussi, qu’il a été blessé par la brutalité, qu’il
n’a pas compris, etc.
« Crois-tu que le poney sait que tu as peur ? … Crois-tu que cela le dérange ?... Pourquoi ?... Que vas-tu faire avec cette peur dans ton ventre ?... Comment vas-tu faire pour continuer à t’occuper du poney ?... Tu ne dois pas trouver la réponse tout de suite, tu n’es pas obligé de me la donner, tu as le temps d’y penser, d’essayer. Ce n’est pas un test. » Et après avoir conseillé à l’enfant de se poser, de bien respirer pendant un moment, je le laisse seul avec le poney et les questions, sans pression d’obtenir un quelconque résultat. Les découvertes qui suivront lui appartiendront, mais s’il désire m’en parler, je suis toujours disponible.
Le moment qui précède le cours d’équitation, pendant que les
enfants brossent et sellent leur poney et que je passe auprès de chacun, est un
bon moment pour favoriser l’exploration, la discussion et le suivi.
Le
jeune cavalier y réfléchira deux fois avant de réagir par l’agressivité
lorsqu’il a peur, pas pour éviter une réprimande ni parce qu’on lui a dit que
c’est mal, mais parce qu’il a identifié la cause et les effets du geste. Une
fois que le processus de compréhension est lancé, il devient difficile de l’ignorer.
Poser des questions qui impliquent et respectent le ressenti et qui conscientisent le jeune cavalier m’a permis de voir à quel point les enfants ont de la ressource, peuvent discerner, analyser, vivre intensément, apprendre magnifiquement à partir d’interactions complexes, à condition qu’ils soient ramenés au ressenti de départ et à la source, leur conscience, et surtout stimulés dans leurs intelligences et non « gavés » d’instructions et de règles.
Dans
mes cours d’équitation – et pour autant que je fût libre de le faire car cette
méthode est loin d’être classique, plus lente, pleine de « blabla »
aux yeux des parents qui veulent de l’action et des résultats concrets, et peu
appréciée du commun des poney clubs parce qu’elle nécessite de plus petits
groupes – j’ai même vu les enfants « pondre » des techniques
d’équitation avancée, comme le fait de reculer la jambe pour déplacer
latéralement les hanches du poney, rien que parce qu’ils étaient questionnés au
lieu d’être enseignés : «Où veux-tu aller ? À quel rythme ? Comment
vas-tu le demander à ton poney tout en sachant que cela ne doit pas lui
faire mal ni être inconfortable pour lui ? Quels sont les outils dont tu
disposes (rênes reliées à la tête, jambes, poids du corps, « assiette »,
volonté, voix, etc.) ? Comment vas-tu les utiliser pour atteindre ton
objectif ? ». Les enfants apprennent alors à puiser dans leur
intuition pour répondre à ces questions : ils sont véritablement connectés
au poney, car l’intuition est la clé de la communication inter-espèce. Et cette
démarche de puiser dans leur intuition leur servira à bien plus de niveaux qu’à
la seule équitation.
Les
enfants devraient pouvoir prendre le temps de découvrir par le jeu, la
contemplation, d’expérimenter par l’essai/erreur, tout en étant accompagnés pour
qu’il y ait verbalisation des découvertes.
Et puis, la question miracle, comme je l’appelle, lorsque l’enfant a atteint son objectif avec son poney : « Pourquoi le poney est-il allé là où tu voulais ? Il n’y était pas obligé. Pourquoi t’a-t-il suivi ? » Réponse à vous étreindre le cœur quand elle vient spontanément de la bouche d’un enfant tout souriant. « Parce qu’il m’aime bien ». Et l’enfant étreint l’encolure de son poney, enfouit son visage dans ses crins.
L’amour
ne soigne pas : il guérit !
Réponse :
« Parce qu’il ne me comprend pas. Je ne suis pas certain de lui demander
convenablement. J’ai peur de me tromper. Je n’ai pas compris le but de
l’exercice.»
Quand
l’enfant ne voit pas de sens à l’action, le poney le ressent et s’en méfie. Si
l’enfant est indécis, le poney l’est aussi. Cet effet miroir, dès que l’enfant
en est conscient, peut l’aider à se comprendre, à comprendre que ce qui arrive
dans sa vie dépend de sa propre attitude, à comprendre qu’en changeant son
attitude, il peut modifier les évènements et qu’aucun résultat n’est définitif.
Il apprend l’importance de la force de l’intention, de la concentration et de
la volonté. C’est tout le contraire de l’impuissance !
L’amour
aide à grandir bien mieux que tous les enseignements.
Le plus formidable avec les animaux, c’est qu’ils ne jugent pas. Cela permet aux enfants d’apprendre sans pression et de se déculpabiliser. « Tu crois que le poney t’en veux de l’avoir frappé ? Observe-le, qu’en penses-tu ? Et toi, tu t’en veux ? Alors tu peux te pardonner à toi-même si tu ressens le besoin d’être pardonné, ça marche aussi. Ainsi, tu peux oublier, comme le poney, et continuer à travailler avec lui. Que ressens-tu maintenant ? Que te dit ton corps ? Et le poney, observe-le, qu’exprime-t-il en ce moment ? Tu peux lui confier tout ce que tu ressens, ça l’aide à comprendre aussi, même s’il ne comprend pas les mots. »
Voilà pourquoi, aujourd’hui, je crois qu’enseigner le bien et le mal aux enfants, surtout selon des critères artificiels élaborés uniquement pour soutenir des principes religieux et la fidélité à une Église, est une aberration. Les enfants savent ce qui est juste et bon et ce qui ne l’est pas, pour eux comme pour leur entourage. Ils sont naturellement équipés d’un cerveau et d’une conscience avec une boussole éthique intégrée. Le rôle de l’éducateur est de les aider à se tourner vers cette boussole interne lors des actes explorateurs afin qu’ils puissent discerner et comprendre par eux-mêmes, pas de les occuper avec des listes d’actions à suivre pour « choisir le bien », encore moins de les juger ou pire, de les punir.
Bien sûr, cela est très correct, dans notre société, d’éduquer aussi rapidement que possible les enfants à se comporter convenablement, conformément, à ne pas faire de vague, surtout.
Pendant trop longtemps, la compassion ne semblait pas être destinée aux enfants ; Seulement la discipline, le bien et le mal, l’enfant gentil et méritant, l’enfant méchant et puni. Et on aimerait qu’ensuite, ils soient des adultes compréhensifs et compatissants ?
C’est
par l’expérience qu’aujourd’hui je permets d’insister sur ce point car j’ai de
quoi comparer dans ma propre vie, ayant été conduite depuis l’enfance par des
doctrines qui se sont superposées à ma conscience, à mon intuition et à la
réalisation que cette conscience souffre d’être ignorée : elle réagit par
l’intermédiaire du corps.
Malheureusement,
ces signaux sont ignorés aussi.
La
société actuelle, son éducation, sa politique, sa médecine, ses religions,
préfère museler systématiquement les symptômes que prendre conscience des
causes et résoudre les problèmes par le changement de point de vue, de
paradigme, de comportement.
Cela
donne des résultats rapides, pas de solutions.
Un peu
comme si un jardinier s’obstinait trouver des moyens de forcer les fleurs à
fleurir toutes en même temps et au maximum sans se préoccuper de la qualité du
sol aux différents endroits du jardin ni de l'ensoleillement et de l’arrosage
donc chaque fleur a besoin.
Notre société fonctionne à l'image d'une telle monoculture industrielle...
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