samedi 14 mars 2020

Réfugiée civilisationnelle

On me demande parfois d'où vient ma passion pour la civilisation celtique, et pourquoi je m'obstine à l'écrire et à la décrire.

Mes motivations ont longtemps été inconscientes, mais depuis quelques années, j'ai enfin compris et défini ce qui me poussais inexorablement hors du présent et vers le passé.

C'est dans un roman de Bernard Weber, "La boîte de Pandore", que j'ai trouvé les mots qui le décrivent le mieux : Si tout cela me touche, ce n'est pas par hasard. Au fond de moi, je sais que j'ai un combat à mener. Un devoir de mémoire. La mémoire des vaincus. La mémoire des victimes insultées par leurs bourreaux parce qu'elles ne peuvent plus témoigner ni se défendre ou que leurs versions des faits ont été détruites.

Il continue en ces termes : Darwin lui-même a légitimé, volontairement ou non, les systèmes politiques en place selon le principe que s'ils avaient gagné, c'est qu'ils avaient forcément raison !
Ainsi, les "faibles" sont rayés de la carte. Seuls les "forts" survivent, évolution oblige ! Mais la nature ne fonctionne pas comme ça. Elle n'élimine pas, elle ajoute. C'est l'homme qui livre ensuite ses explications selon ses intérêts.

Le fait est que je n'ai jamais cru à l'Histoire, en  tout cas à celle qu'on m'enseignait à l'école sans jamais mentionner les sources de la version présentée. Les religions enseignent ainsi les nouveaux convertis. Une religion est sa propre historienne et ne permet pas que l'on discute les écrits qui soutiennent sa genèse, ses fondements, et la construction de sa pensée !
Notre civilisation occidentale est également sa propre historienne. Voilà qui est pratique ! 

Et cela, à travers quelques scribes seulement : Celui de Jules César. Ceux de d’Athènes ou de Rome. Celui de Napoléon. Celui de l'État.

Très jeune, j'ai donc opté pour les démarches autodidactes, d'autant plus que j'ai une propension à tout connecter pour tisser "the big picture", et la division des matières, à l'école, m'agaçait beaucoup. L'histoire ne peut être séparée de la philosophie, de l'anthropologie, de la linguistique, de la sociologie, de l'écologie, de l'économie, etc. J'ai donc une manière d'appréhender les sujets en les reliant - interactions, influences, dynamiques - ce qui me coûtait beaucoup d'énergie et de temps - et me posait pas mal de problèmes aux examens quand il fallait à nouveau tout ramener à la matière concernée, puis à la question dont la réponse attendue devait elle-même résumer les bribes enseignées - mais qui m'a conduite à un point de vue différent sur ce que nous appelons "la civilisation occidentale".

Conséquemment, je m'y suis très rapidement sentie mal à l'aise, dans cette civilisation. Très vite, j'ai utilisé cette expression : "J'ai l'impression d'être une Celte obligée de vivre dans un monde romain !".
Et sans autre choix...

J'ai récemment apprécié une vidéo sur la liberté, sujet très à la mode avec la démocratie, tout ça, mais en totale incohérence avec la réalité !
"On nous parle de liberté alors que nous n'avons pas le Choix, à la base, de rejoindre ce Jeu ou pas. Mais le choisirais-tu vraiment pour toi, tes enfants, la Terre, si on te laissait le choix? Dans quel monde vivrions-nous si nous avions le choix de notre Jeu de Société ?" (Lien YouTube vers la vidéo ICI)

Personnellement, je n'estime pas nos gouvernements ni nos lois comme légitimes. Les seules lois légitimes sont celles qui profitent au vivant. 
À l'ensemble du vivant ! 

Je parle bien sûr des lois naturelles, les lois inspirées du fonctionnement des écosystèmes et de l'ordre spontané qui permet la vie dans toute sa diversité sur cette planète (voir article précédent).

Mais où puis-je aller pour retrouver une vie saine en accord avec les lois de la nature ?Où puis-je retrouver les connaissances ancestrales de ceux qui vivaient ces lois en pleine conscience ? Où puis-je trouver un espace qui ne soit régi ni par Dieu (et son ordre moral), ni par le Capital (et son ordre économique) ?
Il n'y a plus aucun territoire sur cette planète qui ne soit possédé par le pouvoir en place. Je n'ai donc plus le choix. Je ne suis donc pas libre. Je suis un esclave. Tel un animal domestique contraint de renier sa nature (ou de s'entendre dire qu'elle est déchue, dixit la religion, ou dysfonctionnelle, dixit le système scolaire), contraint à la production entre quatre clôtures.

Bref, où aller ? Dans le passé, bien sûr...

Mon intention, au départ, n'était pas d'écrire un roman historique, mais un roman Fantasy en m'inspirant des mythologies celtiques et germaniques, à l'instar de Tolkien dont j'avais, au sortir de l'adolescence, déjà dévoré tous les ouvrages, connus et moins connus, et plusieurs biographies à son sujet.
J'aurais pu aller, si je voulais suivre l’attrait d'une civilisation "naturelle", vers les amérindiens (qui m'ont toujours également intéressée) ou les aborigènes, mais les Celtes se sont imposés à moi tout naturellement puisque je foule le même sol qu'eux, me poussant dans des recherches de plus en plus profondes et étendues, dans un besoin d'authenticité, dans une envie de les honorer en tant que parents chéris, de les donner à voir, et mon roman est devenu historique. La collection qui en émerge est une véritable reconstitution littéraire de cette civilisation à laquelle je me sens connectée depuis toute jeune, depuis que la première fois, à l'école primaire, j'ai ouï le nom de "Gaulois".

L'on peut évidemment discuter de la psychologie de cette démarche. La dysphorie civilisationnelle qui m'accable ne fausse-t-elle pas mon appréhension de l'histoire ? Suis-je capable d'être objective ? 

Ne suis-je pas en train de m'approprier une culture pour satisfaire mes propres besoins, compenser mes manques et soigner mes blessures, et de me construire, avec la civilisation celtique, un passé conforme à mes propres idéaux ?

Avant de répondre à ces questions, j'aimerais faire un petit détour par le roman d'un auteur Estonien, roman qui m'a particulièrement touchée puisqu'il parle de la fin d'un monde et de la solitude des derniers représentants d'une culture, des derniers dépositaires d'une langue ou d'un savoir ancestral.

Il s'agit de "L'homme qui savait la langue des serpents", d'Andrus Kiviräk, paru aux éditions Le Tripode, dont la quatrième de couverture en deux phrases me convient parfaitement : Mais il n'était pas question de revenir en arrière ! J'étais là, au coeur de la folie moderne, et mon destin était d'y demeurer jusqu'à la fin de mes jours.

J'aimerais mentionner la postface de Jean-Pierre Minaudier et reprendre ici les passage les plus pertinents :
"L'immense tristesse de ce livre [...] réside ainsi dans le fait qu'il est le récit d'une impasse annoncée dès la première page (Il n'y a plus personne dans la forêt...), dont l'un des leitmotiv est : il est déjà trop tard, nous n'avons plus le choix, nous ne l'avons jamais eu. [...] 
Mais le roman de Kivirähk n'est absolument pas un livre romantique où s'exprimerait exclusivement la nostalgie de ce qui s'en va. Même s'il se place du point de vue d'un homme de l'ancien monde et s'il souligne que pour certains d'entre nous, il n'est d'autre choix possible que le rejet de la modernité, jamais il ne tombe dans le piège indigéniste qui consiste à idéaliser le temps jadis, et à mépriser et condamner sans nuance l'ensemble du monde nouveau - cette idéologie raciste à l'envers [...].
Kivirähk nous dit que s'il est dramatique de n'être pas de son temps, il peut être tout aussi dramatique de s'enferrer dans la défense d'un univers disparu, d'un mode de vie ancien que d'ailleurs on connaît mal parce qu'on a déjà perdu le contact avec lui. 
Les historiens reconnaîtront ici le thème, fort à la mode chez nous depuis deux décennies de l'invention de la tradition et de la construction de la mémoire, souvent dans le cadre de stratégies de pouvoir.
Entre l'un et l'autre de ces désastres, entre le conformisme et la bêtise d'une part, la haine et la folie de l'autre, ne reste que la voie d'une digne solitude, triste mais sans aigreur, celles de la colère et de la révolte ayant été épuisée. [...]"

Pour ma part, je n'ai pas épuisé les ressources de la colère ou de la révolte, étant foncièrement dégoûtée par les mensonges religieux dans lesquels j'ait été baignée une bonne partie de ma vie depuis ma naissance, mensonges dont je constate l'étendue et l'emprise sur notre monde tous les jours de ma vie !  
Monsieur Minaudier conclut ainsi : "Face à un temps qui passe et à un monde qui change à un rythme de plus en plus vertigineux, nous sommes tous (ou nous serons tous) des Indiens, des Bretons, (des Celtes).
Vivre en faisant le moins de dégâts possibles autour de soi, c'est accepter l'inévitable tristesse de tout cela, sans se vautrer dans le conformisme et la bêtise qui triomphent toujours, sans pour autant verser dans la haine ni se réfugier dans l'idéalisation d'un passé fantasmé, qui est une autre forme de bêtise."
Il parle alors de la pénibilité de films comme "Dance avec les loups" (1) et "Avatar" (2) qui seraient des exemples de cette bêtise.

Et c'est là que d'une part, je ne suis plus d'accord avec monsieur Minaudier et, d’autre part, que je trouve la réponse à mon questionnement.
En effet, ces films ne parlent pas tant du choc de deux cultures : une culture passée, pacifique, traditionnelle, naturelle, orale, "sauvage" Vs une culture agressive, moderne, progressiste, savante, civilisée. 
Ces films soulèvent surtout le problème de la colonisation !
C'est à dire de la domination par la violence d'une culture sur une autre, et il se trouve que cela s'est toujours produit à partir d'une culture "civilisée" vers une culture "sauvage".

Dans l'excellent film "Cœur de Tonnerre" (3), le protagoniste, agent du gouvernement américain, explique au héros, un jeune homme chamboulé par la découverte de son ascendance amérindienne, qu'il comprend les indigènes, qu'il compatit avec eux : "Ils sont un peuple fier, mais un peuple conquis. Et cela implique qu'ils doivent se plier aux lois et fonctionnements du peuple conquérant. C'est comme ça que ça marche !"

Voici le nœud du problème : nous en revenons aux sujets de la légitimité des lois de la nation conquérante et de la liberté dont je parlais plus haut.

Un nœud qui met en lumière la réponse aux questions posées précédemment : non, je ne me réfugie pas dans un passé fantasmé. Je dénonce les effets de la colonisation ! Effets qui appartiennent bel et bien au présent ! Qui perdurent encore aujourd'hui jusque dans nos livres d'histoire, jusque dans nos mentalités, jusque dans nos institutions, jusque dans nos comportements, rétrécissant notre pensée jusque dans notre observation du passé, dans la considération de nos ancêtres ou des autres cultures. 
Nous libérer des cadenas imposé par cet esprit colonialiste et ses tendances uniformisantes que nous ne voyons même plus, c'est libérer l'avenir.

J'ai vécus très personnellement les effets de la colonisation religieuse individuelle. Je peux imaginer la colonisation à l'échelle de tout un peuple.
À l'échelle de la planète, au point où on en est.

La colonisation, nous n'en sommes jamais sortis. Nous en portons la mentalité, elle imprègne notre vision où que nous portions notre regard. Dans notre inconscience collective, nous en perpétuons les méthodes.

L'une des méthodes colonisatrices que nous utilisons toujours est l'appropriation. C'est une technique qui existe depuis que le pouvoir centralisé - concentration d'ego pur et dur - est devenu impérialiste, depuis qu'il s'est mit à lorgner sur les territoires physiques et intellectuels d'autrui.

J'ai toujours été dérangée par cette manie qu'avait Athènes et puis Rome de s'approprier les connaissances d'autrui (4) pour ensuite s'en attribuer tout le crédit, manie que l'ont retrouve ensuite au sein de tous les empires successifs,  y compris les USA que je considère comme tels. Les savants et philosophes grecs que nous encensons comme les prémices de notre glorieuse civilisation occidentales ne se gênaient pas pour aller étudier ailleurs (ce qui n'est pas une mauvaise chose en soi) et ensuite briller chez eux comme par leur propre génie. Il n'y avait pas de notion de plagiat ni de copyright sur les "publications scientifiques", à l'époque. Plus tard, les penseurs des lumières et autres classicistes ont accentué la tendance en glorifiant les racines greco-romaines et en excluant toute autre influence et source.

Il m'apparaît aujourd'hui que les grecs et les romains n'avaient pas l'exclusivité de ce comportement, dans l'antiquité. 
Les fondations du Judaïsme, sur lesquelles se sont élevées les autres religions monothéistes de souche abrahamique, foisonnent de références mythiques qui ne leur appartiennent pas. Elles se sont nanties de connaissances serties dans les autres traditions orales qu'elles ont vidées de leur substance, dont elles ont parfois complètement inversé la signification de manière à soutenir leurs élucubrations à l'aide d’échafaudages empruntés à ce qui tenait debout tout seul. Ce ne serait pas si grave si cela n'avait servi à l'asservissement de la pensée, puis d''une bonne partie de l'humanité.

Le christianisme a opéré de la même manière pour s'incruster en Gaule, puis chez les Celtes insulaires. Le calendrier liturgique est calqué sur le calendrier gaulois vidé de sa moelle. Les premiers saints sont les transpositions de héros et dieux gaulois.

Et aujourd'hui, dans la continuation de cette mentalité colonialiste, les gourous des néo-spiritualités agissent comme si les cultures indigènes constituaient un énorme marché libre-service !  La vérité, c'est que c'est un véritable filon ! Une opportunité de se faire du fric en exploitant des cultures disparues. 

L'auteure du best seller "Message des hommes vrais au monde mutant" a essayé avec la culture des aborigènes d'Australie et elle fut rétamée en justice par les peuples aborigènes pour appropriation culturelle ! 
Mais avec les Toltèques et les Celtes, il n'y a plus personne pour défendre leur culture et on la tire de tous les côtés, chacun à soi comme une couverture. On obtient, par réduction du bouillon, une spiritualité superficielle et symptomatique, très collabo du capitalisme, qui se vend comme des petits pains, et aseptisée de manière à pouvoir fonctionner dans la civilisation occidentale (et même dans la culture corporative) sans rien bousculer

Une autre méthode colonisatrice que nous utilisons toujours est l'assimilation.
Un  exemple : quand un musée met en exergue les "sports celtes", c'est de l'assimilation.
C'est donner une notion sportive à la grecque (cfr jeux olympiques de l'époque) mais hors contexte, de distraction sensationnaliste à la romaine impériale (jeux du cirque) ou encore de distraction ("temps-libre" et hobby) liée au travail, qui est arrivée après l'ère industrielle. C'est donner l'image anachronique de stades de foot, de championnats, de médailles, ou de salles de sport utiles à maintenir un tant soit peu en forme les sédentaires routiniers que nous sommes.

Je sais que je suis puriste et perfectionniste (on me le reproche souvent ^^), mais je n'apprécie pas la tendance à assimiler les mœurs d'une époque aussi reculée aux nôtres, à nos concepts, comme si notre civilisation était l'évolution ultime et inévitable qui définit toutes les autres, comme si nous étions incapables de nous décentrer. 

Car la pensée dominante réductionniste et matérialiste (opposée à la substance et au non linguistique) qui régit jusqu'aux institutions scientifiques, archéologie y compris, établit les critères d'un garde-fou nécessaire, même si cela n'a pas évité les appropriations politiques, mais en mêmes temps, elle empêche l'émergence des pensées et analyses et conserve à l'histoire son unique point de vue nombriliste. 

NB : l'ancienne tradition orale ne rencontrait pas cette opposition entre la matière et la substance : elle était capable d'englober les deux à travers les mythes. Elle ne craignait pas l'exhaustivité ni le holisme : le symbolisme était sa seule méthode de "réduction" qui visait à faciliter la transmission et l'identification.

L'assimilation, c'est aussi cet anthropocentrisme qui nous a valu cette fameuse "loi de la jungle", quand l'homme a assimilé le fonctionnement des écosystèmes à la structure hiérarchique de sa propre société et y a projeté sa propre violence (qu'il niera, bien sûr). C'est aussi l'anthropocentrisme que j'ai vu sous bien des aspects dans le milieu équestre où j'ai travaillé longtemps : la nature du cheval est remplacée par les traits humains : la coquetterie, l'ambition et la compétition, l'attachement affectif... Et ne pas oublier de mettre une couverture à votre cheval quand VOUS avez froid ! De lui faire un câlin quand votre solitude VOUS pèse ! etc.

L'assimilation, c'est la dichotomie à laquelle monsieur Minaudier fait allusion quand il parle de "bêtise d'un passé fantasmé", qui exige qu'il y ait un "gentil" et un "méchant". C'est pour cela que quand je tape sur le clou de la colonisation, on me reproche de tomber dans cette bêtise : le colonisateur est le gros méchant vilain pas beau et le colonisé, l'agneau innocent qu'on sacrifie... Et on me rit au nez en me disant que je tombe dans le sentimentalisme ou le jugement moral.

Mais cette réaction même EST de l’anthropocentrisme, de l'assimilation et de l'infantilisation (point suivant). C'est tellement opportun d'examiner l'histoire hors des valeurs morales que, par ailleurs, nous brandissons quand nous voulons prouver que nous sommes les plus évolués ! La colonisation EST "vilain et pas beau". C'est même horrible !  Il faut arrêter avec les "c'est comme ça que ça marche !" Et si je suis d'accord avec la nécessité d'éviter d'idéaliser ou de victimiser les colonisés, il faudrait peut-être cesser, de l'autre côté, de faire passer les colonisateurs pour des héros civilisateurs, des modèles de force, de volonté, de droiture, de masculinité, de pouvoir, d'intelligence, etc. et se poser de sérieuses questions sur ces uniques rapporteurs de notre histoire !

On me sort systématiquement : "Ah, mais savoir si la colonisation est une bonne ou une mauvaise chose, c'est un autre débat ! C'est pour les philosophe. Nous, on étudie les faits, l'histoire, c'est tout..." 
Ouais ben à force de séparer les débats, on ne parvient plus à comprendre ce qui se passe vraiment, on se déshumanise. En s'obstinant à regarder la réalité à travers un trou de serrure assigné par peur d'ouvrir la porte, on entretient le status quo.

Autre exemple : quand un groupe de reconstitution celtique et d'archéologie expérimentale définit un Dunon comme un "domaine d'exploitation agricole", c'est de l'assimilation.
Le mot "exploitation" dénote un objectif de profit et de croissance alors que tout ce qui intéressait les celtes était l'autonomie. Le mot "agricole" s'inscrit dans une catégorisation du monde, opposée à la vision celtique encore holiste.
Pour rendre digne d'intérêt une culture qui fut colonisée, on l'assimile à la nôtre.
Je suis bien consciente de la pauvreté de notre lexique, voilà où nous a mené le réductionnisme typique de la pensée occidentale : nous n'avons plus le bagage lexical permettant de décrire notre propre passé lointain. 
Il y a deux mille ans, il existait vingt mots pour parler de l'amour. Aujourd'hui, il nous en reste un.
Moi-même, pour parler de la civilisation celtique, je suis souvent obligée d'aller puiser dans le lexique de l'hindouisme ou de l'ère médiévale, en informant des nuances.

Alors que ces organisations s'inscrivent dans l'enseignement et la transmission, elles font partie d'un marché et doivent attirer la clientèle pour survivre (les subsides ne suffisent pas), et dès lors utiliser des références connues du public. Je peux comprendre cela puisque je suis confrontée aux mêmes choix : si je veux que mes romans historiques soient lus, je dois les faire éditer, puis je dois en faire la promotion et les vendre. Tout est devenu un marché, de nos jours... Et il n'y a rien de plus déformant que le marketing.

J'ai aussi d'autres comptes à rendre ! À mon éditeur, à mes lecteurs, mais pas seulement : à partir du moment où mes écrits sont publiés, où le logo d'institutions officielles (musées, archéosites...) est apposé sur la couverture de mes livres, le contenu doit être agréé et conforme, endéans une marge assez large (il s'agit de romans historiques, après tout !).

Par contre, pour les articles que je publie sur mes blogs, je peux faire preuve de moins de retenue : ils sont gratuits et n'engagent que moi ! Là, je lâche tout ce que je découvre et déduis et reconstitue de la civilisation celtique, je délie ma langue de bois, même si cela irrite les celtisants prudents et politiquement corrects, même mes allusions constantes à la colonisation agacent.

Du coup, si j'ai l'air émotive, on me reprochera de verser dans le sentimentalisme. Si je prend des accents philosophiques, on dira que je manque de rationalisme. Si je connecte trop d'éléments et dénonce des agendas, on me traitera de conspirationniste. Si j'ai un passif, on soulignera mon manque d'objectivité. Si je suis intuitive, je perds toute crédibilité.
Et j'avoue pourtant être un peu tout cela à la fois...
Ne vous en déplaise. 

Une troisième méthode colonisatrice que nous utilisons toujours est l'infantilisation.
C'est le regard (con)descendant que le civilisé porte sur le sauvage, l'initié sur le profane, l'aristo sur le paysan, le croyant sur le païen...

Ce comportement imprègne toute société hiérarchisée (verticale), donc la nôtre.

On ne peut agresser, dérober, violer, coloniser, domestiquer ce que l'on considère comme un égal ! Il faut préalablement rendre inférieur et immature ce que l'on convoite de posséder ou de dominer. Les populations visées sont donc forcément décrites comme primitives, impulsives, émotives, brutes et brutales. 

C'est dans ce piège que tombent tous ceux qui prétendent encore de nos jours que les Celtes ont grandement bénéficié de leur colonisation par les romains. C'est non seulement tout à fait faux dans ce cas précis, mais c'est toujours systématiquement le contraire qui se produit lors d'une colonisation, quel que soit l'exemple choisi !

Infantiliser, c'est aussi traiter de réaction immature toute démarche qui ne se conforme pas à la pensée dominante. "C'est de la bêtise, c'est du sentimentalisme, c'est de l'émotivité, c'est de l'idéalisme". Ah, le paternalisme des stoïciens, des initiés, des patriarches, des intellectuels, des hypocrites... Et ces même termes ont longtemps été utilisés pour disqualifier les arguments qui avaient le malheur de sortir de la bouche d'une femme !

Rendre immature est ce que les religions monothéistes font de mieux : ramener l'humain à la soumission au père, à l'incapacité de surmonter sans aide ou sans intermédiaire les conséquences d'une chute fabriquée de toute pièce, de retrouver seul la divinité. Le pire, c'est qu'elles le font en gâtant ces enfants : "vous qui connaissez le Dieu en question devenez ses chouchous, ses fidèles, son peuple élu", ce qui permet à ces enfants en particulier d'infantiliser les autres sans devoir eux-mêmes grandir. 

Rendre immature est aussi l'outil de prédilection de nos institutions, c'est même une caractéristique de tous les fonctionnements de notre société, de ses administrations jusque dans la pédagogie de son système éducatif en passant par son modèle de démocratie et sa fameuse psychologie générale.
Nous demeurons donc bel et bien toujours en pleine colonisation, nous portons cette mentalité en nous et, en même temps, nous en sommes les premières victimes. 

L'espoir de voir un jour tomber tout comportement colonisateur est le moteur et le coeur de ma démarche littéraire et "bloggiste". Je me fous que ce soit utopiste. Le terme "utopie" sert de prétexte pour éviter d'amorcer le changement. 

En offrant un contraste entre une civilisation d'il y a 2500 ans et la nôtre, je n'incite pas à retourner dans le passé ni à le reproduire, mais à prendre conscience que tout peut être autrement. Parce que ça l'a déjà été !

Notre situation actuelle, qu'elle soit environnementale, politique, sociétale,  économique, n'est PAS une fatalité. N'écoutez pas les "c'est comme ça que ça marche !" de ceux qui tirent profit de la colonisation.
Nous avons été "autre", avant les colonisations et dominations. Colonisations dont nous devons encore nous libérer ! Notre lointain passé, tout comme les peuples indigènes qui restent, détiennent les clefs de notre avenir (par l'inspiration personnelle et non l'idéologie collective). Nous devons voir et comprendre les schémas de pensée nous empêchent d'évoluer en tant qu'individu et en tant qu'humanité. Hélas, dans son élan colonisateur, le pouvoir (binôme Dieu/ capital) a méticuleusement bien placé ses cadenas...

Comme Leemet, le héros de "L'homme qui savait la langue des serpents", je me sens quelques fois un peu seule dans cet effort et cet état d'esprit. 
Alors, j'écris...

"Si tout cela me touche, ce n'est pas par hasard. Au fond de moi, je sais que j'ai un combat à mener. Un devoir de mémoire. La mémoire des vaincus. La mémoire des victimes insultées par leurs bourreaux parce qu'elles ne peuvent plus témoigner ni se défendre ou que leurs versions des faits ont été détruites."
Et un autre combat, un autre devoir, sur le plan personnel, se déroule en même temps. Toute écriture est miroir.

C'est ça, avant tout, écrire un roman historique.

FLB



(1) Danse avec les loups (Dances with wolves), film de Kevin Costner (1990) d'après le roman de Michael Blake.
(2) Avatar, film de James Cameron (2009).
(3) Cœur de Tonnerre (Thunderheart), film de Michael Apted (1992), d'après les faits réels qui se sont déroulés dans les réserves du Dakota dans les années 70.
(4) Clement d'Alexandrie en fait mention dans le livre I de ses Stromates, chapitre XV : "[...] Telles sont les époques ou vécurent les sages et les philosophes les plus anciens de la Grèce. Est-il besoin d'ajouter que la plupart d'entre eux furent d'origine barbare, et qu'ils eurent des barbares pour maitres ? Nous l'avons vu, Pythagore était de Toscane ou de Tyr. Antisthène était phrygien ; Orphée, odryssien ou thrace. La plupart des historiens rapportent qu'Homère était égyptien; on dit que Thalès, originaire de Phénicie, eut des entretiens avec les sages d'Égypte. Il en est de même de Pythagore. Il reçut en outre de la main de ces sages la circoncision, afin de pénétrer dans les sanctuaires d'Égypte, et d'être initié dans leur philosophie mystique. Il fréquenta les plus illustres d'entre les Chaldéens et d'entre les Mages, et le lieu qu'il nomme Homacaeon (omôs acoéion, lieu 46 où tous écoutent ensemble) représente indirectement le lieu que maintenant nous nommons Église (ecclesia, assemblée). Platon ne nie pas qu'il ait reçu des barbares ce que sa philosophie renferme de plus beau; et il avoue qu'il est allé en Égypte ; c'est pourquoi il écrit dans le Phédon que le philosophe peut recueillir en tous lieux quelque avantage.
Platon pense donc que les barbares aussi possèdent quelques philosophes. Épicure, au contraire, croit que les Grecs seuls peuvent se livrer à la philosophie. Mais Platon, dans le Banquet, louant les barbares pour avoir excellé dans la philosophie, leur rend justice aussi bien qu'aux Grecs; il montre les honneurs qu'ils ont reçus de leurs dignes successeurs. Il est certain que les barbares ont environné des plus grands hommages leurs législateurs et leurs maîtres, car ils les ont appelés dieux.
En effet, Démocrite a composé des traités sur la morale babylonienne, et l'on dit qu'il a joint à ses écrits l'interprétation des hiéroglyphes gravés sur la colonne d'Acicarus. On peut s'assurer au fait par les ouvrages mêmes de ce philosophe : or, voilà ce qu'écrit Démocrite parlant de lui-même, et se glorifiant de son érudition.
En effet, il parcourut la Babylonie, la Perse et l'Égypte, et se fit le disciple des mages et des prêtres. Pythagore s'inspira de la philosophie de Zoroastre, mage de la Perse ; ceux qui partagent l'hérésie de Prodicus se glorifient de posséder des livres apocryphes de ce mage. Alexandre, dans son ouvrage sur les symboles pythagoriciens, rapporte que Pythagore fut le disciple de l'assyrien Nazaratus ; Alexandre veut encore que Pythagore ait en outre entendu les Galates et les Brachmanes. [...]"

Les Galates (les Celtes de la Turquie actuelle) et les Brachmanes (version archaïque de Brahmanes) ? Tiens, tiens....

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