jeudi 11 août 2016

Quand l'expérience devient préjudice (article)

Cette après-midi, je discutais avec une amie. Le sujet de la paresse est arrivé dans la conversation. Je lui ai donc expliqué que, à mon avis, la paresse n'existe pas.
La paresse est une étiquette que l'on met :
1. sur les gens dont le comportement n'est pas à la hauteur de ce qu'on attend.
2. sur les gens qui semblent avoir la vie trop facile aux yeux de ceux qui bossent à l'arraché.
3. quand on ne veux pas endosser une partie du problème, alors ça doit être la faute de celui qui "ne fout rien" en comparaison.

Bref, il n'y a pas de paresseux. Il y a des personnes :
- qui fonctionnent différemment.
- qui ne se sont pas encore trouvées.
- qui sont abîmées (Par exemple celles qui ont été victimes d'attouchements ou d'abus sexuels étant enfants n'arrivent pas à atteindre leur potentiel, à trouver leur place,et souvent, ne comprennent même pas pourquoi et s'en culpabilisent par dessus le marché !).
- qui sont désenchantées, désabusées, voire dépressives.
- qui ne voient pas ou plus de sens à ce qu'on leur demande.
- qui n'ont pas les outils pour avancer.
etc.

Nous sommes dans une culture qui met en exergue la dureté, la difficulté, le sacrifice. C'est mauvais de "se la couler douce" - expression souvent péjorative - UNIQUEMENT parce qu'un contremaître avide et exigent, un jour, quelque part, l'a décrété, et cela est devenu un concept TRÈS enraciné chez nous. Pourtant, regardez la Nature, cette excellente pédagogue négligée : l'eau, lorsqu'elle se fraie un chemin, ne va pas s'attaquer à la roche la plus dure mais au sol le plus tendre. De même, les racines des plantes ne vont pas s'acharner à pénétrer le granit mais elles vont glisser dessus pour aller chercher les interstices et la terre plus meuble. Considérez l'évolution des espèces : l'adaptation est un processus qui vise à trouver le moyen de vivre dans un environnement donné avec le moins d'efforts et de désagréments possibles.
La Nature n'est point sotte : elle sait que le chemin le plus facile est le meilleur. Tous les êtres vivants savent cela.
Sauf l'homme.
Lui, il est spécial.
S'il ne sue pas, il est à blâmer.
Notre société et ses divers systèmes sont construits sur ce concept pervers.
(Je vous renvois ici vers mon article intitulé : Le travail, c'est la santé !)

Pourtant, dis-je à mon amie, quand on fait ce qu'on aime, ce qu'on est, comme moi lorsque j'écris le quart d'un roman, trois articles et 100 pages d'une adaptation scénaristique en deux semaines, le tout sans le moindre effort (ben oui, souvent, ça vient tout seul); le résultat est plus que gratifiant, exaltant, même, et pourtant, ce fut très facile ! Je ne peux pas appeler cela du travail, surtout lorsque l'on considère la signification et l'origine de ce mot !*
Suis-je paresseuse parce que je veux poursuivre une voie qui est en plein dans ma zone confort ? Qui me permet de rester en pyjamas, de vivre à mon rythme, d'avoir du plaisir au lieu de stress ?

Mon amie ne semblait pas trop accrocher à mes idées. Elle fronçait le front et avait du mal à comprendre.

J'ai alors expliqué à quel point j'avais souffert de l'étiquette de paresseuse en tant qu'esprit artistique. J'ai aussi mentionné que la religion dans laquelle j'ai grandi, qui réclame de ses membres un service dévoué, énergivore et chronophage, m'avait servi à la pelle des phrases telles que "Les paresseux n'auront pas de place dans mon Royaume" et "Les tièdes, je les vomirai de ma bouche" et que cela contribuait, aujourd'hui, à me donner des boutons lorsque teintait à mes oreilles le mot "paresseux".

Savez-vous ce qui s'est passé alors ?
Elle s'est montrée soulagée.
"Je comprends d'où vient ton aversion pour le mot ! "m'a-t-elle dit. "Tu as en a été traumatisée, c'est pour ça."
Et du coup, mes paroles perdirent leur impact. Toute considération à leur égard fut balayée.
Elle a souri et nous avons embrayé sur un autre sujet de conversation.

Je peux aligner cette histoire sur une autre :
Mon fils fait de la phobie scolaire depuis son entrée en secondaire.
Après m'être frottée à diverses institutions, directeurs, professeurs, éducateurs, options, alternatives, aides, pédopsychiatres, centres PMS, services publics et privés, etc., j'ai une vue très complète de notre système scolaire, de son fonctionnement, de ses forces et faiblesses, de ses éléments collatéraux.
Néanmoins, si, dans une conversation à ce sujet, j'ai le malheur de parler de la phobie scolaire de mon fils, mes propos perdent souvent tout crédit.
On me dit alors que je manque d'objectivité dans mes opinions.
Il me semblait, au contraire, avoir obtenu davantage de données me permettant, justement, d'avoir une analyse plus objective.


C'est là où ça coince que le souci ET sa solution deviennent visibles.
Pourquoi, alors, l'expérience est-elle considérée comme un préjudice ?
1. Parce qu'en face, elle n'a pas été vécue. L'empathie et l'imagination sont toutes deux utiles à l'appréhension, l'analyse ainsi qu'à l'ouverture l'esprit.
2. Parce que les leçons tirées sont révolutionnaires et qu'elles font peur.

Les "personnes à problèmes" détiennent les clés de l'évolution, de l'amélioration, du changement.
A condition, bien sûr, des les écouter attentivement.
A condition, aussi, que le changement, qui implique une remise en question, soit une option envisageable.
Et là, évidemment, c'est une autre paire de manches !




Tout le monde n'est pas prêt à changer en même temps, non plus, ni même à appréhender en une fois un concept qui bouleverse les références culturelles ou personnelles.
Mais il me semble que la tendance actuelle est plus souvent celle de l'arbre que de la pirogue....

Le choc d'une expérience peut déraciner un arbre, le transformer en pirogue qui permet d'explorer de nouveaux horizons où une graine est semée et devient un arbre, et ainsi de suite.
Refuser d'écouter l'expérience, c'est s'enraciner dans un sol qui ne cesse de s'appauvrir.


FB



* Travail : du latin Trepalium, instrument de torture à trois pieux. Et non, ce n'est pas une instrumentalisation idéologique de l'étymologie ! J'ai trouvé cette définition dans un Larousse de 1978 et de l'an 2000.


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