Vous aurez sans doute suivi, de près ou de loin, l’affaire des
« papiers de Panama ». Je ne vais pas m’étendre ici sur l’évasion
fiscale des grosses fortunes, bien que répugnante et d’autant plus perverse que
notre gouvernement, de son côté et simultanément aux révélations qui démontrent
les milliards détournés de la caisse publique, tente encore et toujours de nous
faire croire que les précarisés, les malades et autres inactifs, et les petits
fraudeurs, sont les ennemis de notre économie.
Mais d’autres se sont déjà penchés et se pencheront encore sur ce sujet,
du moins je l’espère, assez en tout cas pour remuer les idées et les
comportements.
Ce qui m’a interpellée dans l’affaire des « papiers de Panama »,
c’est le pourquoi.
Pourquoi la fortune ne rassure-t-elle jamais ? Pourquoi les gens très
riches éprouvent-ils le besoin de planquer leur fric ? De quoi peut-on
encore avoir peur lorsque l’on nage dans le superflu ?
J’ai toujours vécu à la limite de la précarité. Avec un budget qui
fonctionne de semaine en semaine, d’un jour de « grosses courses » à
l’autre, à calculer le moindre cent pour m’assurer de pouvoir payer
l’essentiel, le loyer et les charges courantes, et d’avoir assez à manger – de
ce que l’on aime manger en tout cas – jusqu’à la fin du mois avec, de temps à
autres, quelques coups de panique lorsqu’approche l’entretien annuel de la
voiture ou que frappe le sort : une facture médicale, un appareil
électroménager en panne, un pneu crevé, et ainsi de suite sans aucune réserve à
ma disposition, ni patrimoine, ni héritage en vue.
Nous sommes des millions en Belgique à vivre de la sorte, angoissés par un
futur proche et lointain plus qu’incertain, pressurisés par les factures au
point d’avoir peur de recevoir du courrier. Longtemps, j’ai cru que ce type de
stress, l’un des plus nocifs pour la santé, était l’apanage des pauvres.
J’avais tort !
Nous, les « pauvres », des bénéficiaires du CPAS aux
représentants de la classe moyenne, qui rêvons de gagner au Lotto, de faire un
héritage inattendu ou de marier un riche veuf, qui meublons nos insomnies avec
les projets hypothétiques que nous permettrait cet argent providentiel, ne
sommes pas les seuls à imaginer des moyens de se sentir enfin à l’abri, et
même pour plusieurs générations si possible.
Il semblerait que la fortune n’érode pas le moins du monde la quête de
la sécurité financière. L’homme le plus riche de la planète en est encore à
caresser l’idée de ne plus devoir se soucier du lendemain au point de
grappiller, compter, soupirer, caser, autant que moi qui me débat avec mon trop maigre
revenu.
Les riches protègent leur fortune avec une angoisse identique à celle
des pauvres comptant les cents qui leur restent. Tandis que les uns ne peuvent
supporter la déchéance de passer de la Land Rover au Rav4, du costume Armani
sur mesure au deux pièces de chez H&M, d’autres, avec une crainte
identique, en sont réduits à redouter le contrôle technique de leur véhicule alors
qu’ils n’ont toujours par trouvé les sous pour remplacer les pneus usés ou de
se voir obligés à aller se rhabiller au Trafic ou au Décathlon…
La peur semble irrémédiablement accompagner l’argent, quelle que soit la
somme, qu’il soit réel ou non. La peur du manque, la peur de la déchéance
sociale.
Cette peur suscite le besoin de sécurité qui n'est jamais satisfait : pour ne pas perdre l'argent, il faut en accumuler davantage !
Cette peur suscite le besoin de sécurité qui n'est jamais satisfait : pour ne pas perdre l'argent, il faut en accumuler davantage !
Et cette peur fout en l’air l’économie !
De ma fenêtre d'artiste, je vois l’économie comme un système
sanguin. Imaginez maintenant que le cerveau se donne une importance telle qu’il
estime avoir plus besoin de sang que le reste du corps, qu’il se mette à
craindre de ne plus être suffisamment irrigué. Alors, il court-circuite le
système, bouche une artère par-ci, par-là, shunte quelques veines, et crée
ainsi son propre réseau d’irrigation, privant le reste du corps d’une bonne
partie du liquide vital. Résultat : les organes faiblissent les uns après
les autres, le cœur bat dans le vide et s’épuise, les extrémités se nécrosent.
C’est ce que font les riches qui planquent leur fric et les banques qui le détiennent. En refusant de le
réinjecter dans le système, même vers les plus "petits" d'entre nous, ils tuent la société dans laquelle – et de laquelle –
ils vivent afin de se garantir des privilèges qui sont devenus, pour eux, des
besoins essentiels.
J’ai un jour rencontré par hasard, il y a quelques années, à l’occasion
de cours d’anglais que je donnais à domicile, une famille de très fortunés dont
les dizaines de millions accumulés durant les quatre dernières générations,
placés en Suisse alors encore paradis fiscal, leur rapportait annuellement plus
de 300.000€ d’intérêts annuels, soit 25.000€ par mois, sans compter les
bénéfices des entreprises familiales et les retours des investissements
immobiliers. L’on pourrait facilement penser que ces personnes ne savaient plus
quoi imaginer pour dépenser cet argent. Eh bien non ! Outre l’importance
de conserver l’image de la fortune par l’entretien d’une propriété privée à la
hauteur, avec les énormes SUV appropriés et autres accessoires de mode, ils en
étaient arrivés à des réflexes frisant le ridicule pour disperser le moins de
cash possible, tergiversant sur les tarifs en black de l’homme à tout faire
pour ne pas passer par une société locale aux factures non négociables,
cherchant toutes les failles possibles pour payer moins d’impôts et éluder
les taxes, tentant de faire jeter aux oubliettes les PV pour excès de vitesse
ou parkings illicites, exigeant les meilleurs services à moindre coût,
exploitant les désespérés que l’on peut payer moins cher, allant jusqu’à
refuser de revendre ce qui ne leur était plus nécessaire parce que cela
pourrait donner l’impression qu’ils avaient besoin d’argent, ou de le donner
parce que les autres, après tout, n’ont qu’à se remuer le cul et travailler
pour se le payer (on n’a rien sans rien, après tout !), préférant même
voir ces items devenus inutiles pourrir indéfiniment dans un coin de leur propriété.
Cela semble aberrant, n’est-ce pas ?
Vous croyez vraiment que le jour où vous disposez d’autant d’argent à
gérer en bon père de famille pour que les générations suivantes n’en aient pas
un centime de moins ni ne doivent reconsidérer, surtout, un train de vie
devenu normal, vous ne réagiriez pas de la même manière ?
Êtes-vous certain qu’avec une augmentation substantielle du cash à
votre disposition, vous vous sentiriez suffisamment à l’abri au point de vous
permettre d’être enfin généreux ?
Revisitez la dernière fois où vous avez imaginé gagner au Lotto. Que
ressentiez-vous à l’idée de distribuer la moitié aux proches, aux amis, aux
associations ? Cela semblait une bonne chose durant les premières secondes
avant d’être réévalué à coups de « oui mais… ».
Si avec de l’argent en rêve vous jouez déjà la sécurité, c’est que dans
réalité vous succomberez à la peur. Si vous êtes angoissé aujourd’hui dans la pauvreté,
vous serez terrifié demain dans la fortune.
Si, alors que vous n’avez que quelques cents dans votre porte-monnaie,
vous vous les réservez pour les jours de vaches maigres et les refusez au SDF
qui tend la main devant le supermarché, ne croyez pas qu’avec des millions en
banque, vous seriez différent !
N’est-il pas vain et hypocrite de jeter la pierre aux riches qui
planquent leur fric à Panama alors que chacun d’entre nous agissons identiquement à notre échelle ?
Il ne s’agit pas tant de capitalisme ou de communisme, de socialisme ou
de libéralisme, que de mentalités et de comportements individuels ! C’est
dans la pensée que tout commence, et quand celle-ci est fondée sur la peur, la
réalité qui en sort est d’autant réduite, en terme de possibilités, que les
normes de sécurités sont nombreuses.
C’est aujourd’hui, quelle que soit
notre situation financière, que nous devons apprendre à remplacer la peur du
manque par l’amour de la vie, l’accumulation de richesses et de biens par la
sensation d’abondance naturelle, l’envie inassouvie par la gratitude, la
compétition et la comparaison des
statuts sociaux par la solidarité, et à cultiver la simplicité, pour que dès que nous sourit la moindre bonne fortune, nous ne rehaussions pas nos clôtures mais
allongions notre table.
Ce n’est pas si utopique que cela, à partir du moment où chacun de nous,
les « simples », les démunis, les durs travailleurs qui vivons d’un
salaire à l’autre, les précarisés qui vivons d’une indemnité à l’autre, qui
avons l’avantage du nombre, acceptons la simplicité et la solidarité, l’échange
et le partage, et cessons, à notre niveau, de retenir, de détenir, d’envier et de réserver.
Car l’argent, comme le sang dans l’organisme, va et vient. Il doit
circuler. La circulation implique un retour, un passage régulier, non ?
Pourquoi avoir peur, alors ?
Notre société serait un endroit tellement agréable à vivre si les
fortunes entassées en lingots dans les salles fortes, accumulées en argent
virtuel et en données informatiques sur des disques durs, transformées en
actions ou en parts soumises aux fluctuations des marchés ou aux humeurs de la
bourse, devenaient des fondations, du mécénat, des dons, du soutien aux associations,
aux commerces locaux, aux jeunes entreprises, …
Mais puisque nous n’avons aucune prise sur les agissements des fortunés
et des puissants, puisqu’il est encore ridicule, aussi, de parler de confiance
en la vie, de « circulation », à des financiers concentrés sur des
investissements sûrs et compétitifs, commençons donc par fluidifier l’économie
à notre niveau, en la ré-humanisant, en nous purgeant de toutes nos peurs, en
ouvrant les mains et l’esprit, en cessant de jouer le jeu de la sécurité
financière, cette grande illusion, cette maîtresse insatiable.
En lâchant prise sur ce foutu fric ! Ne fut-ce que pour notre santé...
L’effet papillons fera le reste.
FB
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