mardi 12 avril 2016

La sécurité financière, cette maîtresse inassouvie...






Vous aurez sans doute suivi, de près ou de loin, l’affaire des « papiers de Panama ». Je ne vais pas m’étendre ici sur l’évasion fiscale des grosses fortunes, bien que répugnante et d’autant plus perverse que notre gouvernement, de son côté et simultanément aux révélations qui démontrent les milliards détournés de la caisse publique, tente encore et toujours de nous faire croire que les précarisés, les malades et autres inactifs, et les petits fraudeurs, sont les ennemis de notre économie.
Mais d’autres se sont déjà penchés et se pencheront encore sur ce sujet, du moins je l’espère, assez en tout cas pour remuer les idées et les comportements.

Ce qui m’a interpellée dans l’affaire des « papiers de Panama », c’est le pourquoi.

Pourquoi la fortune ne rassure-t-elle jamais ? Pourquoi les gens très riches éprouvent-ils le besoin de planquer leur fric ? De quoi peut-on encore avoir peur lorsque l’on nage dans le superflu ?

J’ai toujours vécu à la limite de la précarité. Avec un budget qui fonctionne de semaine en semaine, d’un jour de « grosses courses » à l’autre, à calculer le moindre cent pour m’assurer de pouvoir payer l’essentiel, le loyer et les charges courantes, et d’avoir assez à manger – de ce que l’on aime manger en tout cas – jusqu’à la fin du mois avec, de temps à autres, quelques coups de panique lorsqu’approche l’entretien annuel de la voiture ou que frappe le sort : une facture médicale, un appareil électroménager en panne, un pneu crevé, et ainsi de suite sans aucune réserve à ma disposition, ni patrimoine, ni héritage en vue.

Nous sommes des millions en Belgique à vivre de la sorte, angoissés par un futur proche et lointain plus qu’incertain, pressurisés par les factures au point d’avoir peur de recevoir du courrier. Longtemps, j’ai cru que ce type de stress, l’un des plus nocifs pour la santé, était l’apanage des pauvres.

J’avais tort !

Nous, les « pauvres », des bénéficiaires du CPAS aux représentants de la classe moyenne, qui rêvons de gagner au Lotto, de faire un héritage inattendu ou de marier un riche veuf, qui meublons nos insomnies avec les projets hypothétiques que nous permettrait cet argent providentiel, ne sommes pas les seuls à imaginer des moyens de se sentir enfin à l’abri, et même pour plusieurs générations si possible.

Il semblerait que la fortune n’érode pas le moins du monde la quête de la sécurité financière. L’homme le plus riche de la planète en est encore à caresser l’idée de ne plus devoir se soucier du lendemain au point de grappiller, compter, soupirer, caser, autant que moi qui me débat avec mon trop maigre revenu.

Les riches protègent leur fortune avec une angoisse identique à celle des pauvres comptant les cents qui leur restent. Tandis que les uns ne peuvent supporter la déchéance de passer de la Land Rover au Rav4, du costume Armani sur mesure au deux pièces de chez H&M, d’autres, avec une crainte identique, en sont réduits à redouter le contrôle technique de leur véhicule alors qu’ils n’ont toujours par trouvé les sous pour remplacer les pneus usés ou de se voir obligés à aller se rhabiller au Trafic ou au Décathlon…

La peur semble irrémédiablement accompagner l’argent, quelle que soit la somme, qu’il soit réel ou non. La peur du manque, la peur de la déchéance sociale. 
Cette peur suscite le besoin de sécurité qui n'est jamais satisfait : pour ne pas perdre l'argent, il faut en accumuler davantage !






Et cette peur fout en l’air l’économie !

De ma fenêtre d'artiste, je vois l’économie comme un système sanguin. Imaginez maintenant que le cerveau se donne une importance telle qu’il estime avoir plus besoin de sang que le reste du corps, qu’il se mette à craindre de ne plus être suffisamment irrigué. Alors, il court-circuite le système, bouche une artère par-ci, par-là, shunte quelques veines, et crée ainsi son propre réseau d’irrigation, privant le reste du corps d’une bonne partie du liquide vital. Résultat : les organes faiblissent les uns après les autres, le cœur bat dans le vide et s’épuise, les extrémités se nécrosent.

C’est ce que font les riches qui planquent leur fric et les banques qui le détiennent. En refusant de le réinjecter dans le système, même vers les plus "petits" d'entre nous, ils tuent la société dans laquelle – et de laquelle – ils vivent afin de se garantir des privilèges qui sont devenus, pour eux, des besoins essentiels.





J’ai un jour rencontré par hasard, il y a quelques années, à l’occasion de cours d’anglais que je donnais à domicile, une famille de très fortunés dont les dizaines de millions accumulés durant les quatre dernières générations, placés en Suisse alors encore paradis fiscal, leur rapportait annuellement plus de 300.000€ d’intérêts annuels, soit 25.000€ par mois, sans compter les bénéfices des entreprises familiales et les retours des investissements immobiliers. L’on pourrait facilement penser que ces personnes ne savaient plus quoi imaginer pour dépenser cet argent. Eh bien non ! Outre l’importance de conserver l’image de la fortune par l’entretien d’une propriété privée à la hauteur, avec les énormes SUV appropriés et autres accessoires de mode, ils en étaient arrivés à des réflexes frisant le ridicule pour disperser le moins de cash possible, tergiversant sur les tarifs en black de l’homme à tout faire pour ne pas passer par une société locale aux factures non négociables, cherchant toutes les failles possibles pour payer moins d’impôts et éluder les taxes, tentant de faire jeter aux oubliettes les PV pour excès de vitesse ou parkings illicites, exigeant les meilleurs services à moindre coût, exploitant les désespérés que l’on peut payer moins cher, allant jusqu’à refuser de revendre ce qui ne leur était plus nécessaire parce que cela pourrait donner l’impression qu’ils avaient besoin d’argent, ou de le donner parce que les autres, après tout, n’ont qu’à se remuer le cul et travailler pour se le payer (on n’a rien sans rien, après tout !), préférant même voir ces items devenus inutiles pourrir indéfiniment dans un coin de leur propriété.

Cela semble aberrant, n’est-ce pas ?

Vous croyez vraiment que le jour où vous disposez d’autant d’argent à gérer en bon père de famille pour que les générations suivantes n’en aient pas un centime de moins ni ne doivent reconsidérer, surtout, un train de vie devenu normal, vous ne réagiriez pas de la même manière ?

Êtes-vous certain qu’avec une augmentation substantielle du cash à votre disposition, vous vous sentiriez suffisamment à l’abri au point de vous permettre d’être enfin généreux ?
Revisitez la dernière fois où vous avez imaginé gagner au Lotto. Que ressentiez-vous à l’idée de distribuer la moitié aux proches, aux amis, aux associations ? Cela semblait une bonne chose durant les premières secondes avant d’être réévalué à coups de « oui mais… ».

Si avec de l’argent en rêve vous jouez déjà la sécurité, c’est que dans réalité vous succomberez à la peur. Si vous êtes angoissé aujourd’hui dans la pauvreté, vous serez terrifié demain dans la fortune.
Si, alors que vous n’avez que quelques cents dans votre porte-monnaie, vous vous les réservez pour les jours de vaches maigres et les refusez au SDF qui tend la main devant le supermarché, ne croyez pas qu’avec des millions en banque, vous seriez différent !

N’est-il pas vain et hypocrite de jeter la pierre aux riches qui planquent leur fric à Panama alors que chacun d’entre nous agissons identiquement à notre échelle ?

Il ne s’agit pas tant de capitalisme ou de communisme, de socialisme ou de libéralisme, que de mentalités et de comportements individuels ! C’est dans la pensée que tout commence, et quand celle-ci est fondée sur la peur, la réalité qui en sort est d’autant réduite, en terme de possibilités, que les normes de sécurités sont nombreuses.

C’est aujourd’hui, quelle que soit notre situation financière, que nous devons apprendre à remplacer la peur du manque par l’amour de la vie, l’accumulation de richesses et de biens par la sensation d’abondance naturelle, l’envie inassouvie par la gratitude, la compétition et la comparaison des statuts sociaux par la solidarité, et à cultiver la simplicité, pour que dès que nous sourit la moindre bonne fortune, nous ne rehaussions pas nos clôtures mais allongions notre table.

Ce n’est pas si utopique que cela, à partir du moment où chacun de nous, les « simples », les démunis, les durs travailleurs qui vivons d’un salaire à l’autre, les précarisés qui vivons d’une indemnité à l’autre, qui avons l’avantage du nombre, acceptons la simplicité et la solidarité, l’échange et le partage, et cessons, à notre niveau, de retenir, de détenir, d’envier et de réserver.

Car l’argent, comme le sang dans l’organisme, va et vient. Il doit circuler. La circulation implique un retour, un passage régulier, non ? Pourquoi avoir peur, alors ?

Notre société serait un endroit tellement agréable à vivre si les fortunes entassées en lingots dans les salles fortes, accumulées en argent virtuel et en données informatiques sur des disques durs, transformées en actions ou en parts soumises aux fluctuations des marchés ou aux humeurs de la bourse, devenaient des fondations, du mécénat, des dons, du soutien aux associations, aux commerces locaux, aux jeunes entreprises, …
Mais puisque nous n’avons aucune prise sur les agissements des fortunés et des puissants, puisqu’il est encore ridicule, aussi, de parler de confiance en la vie, de « circulation », à des financiers concentrés sur des investissements sûrs et compétitifs, commençons donc par fluidifier l’économie à notre niveau, en la ré-humanisant, en nous purgeant de toutes nos peurs, en ouvrant les mains et l’esprit, en cessant de jouer le jeu de la sécurité financière, cette grande illusion, cette maîtresse insatiable.

En lâchant prise sur ce foutu fric ! Ne fut-ce que pour notre santé...

L’effet papillons fera le reste.

FB



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